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Page:Jaurès - L'Armée nouvelle, 1915.djvu/351

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n’est pas là qu’est le problème. Il ne s’agit pas de savoir jusqu’où va aujourd’hui la révolte des prolétaires contre les formes présentes de l’armée et contre l’usage qui en est fait, ou même contre les formes données à l’idée de patrie par la réaction sociale ; il ne s’agit pas de savoir si, chez quelques-uns d’entre eux, emportés par la colère ou égarés par l’abus des formules simples, la révolte est allée jusqu’à nier toute armée, même défensive et populaire, et toute patrie, même pacifique et juste. Ce qu’il faut savoir, dans l’état présent du monde et au degré politique et social où est parvenue la nation française, c’est si le prolétariat juge qu’il est de son devoir et de son intérêt de prendre en main la réorganisation nécessaire de l’armée, dans un sens démocratique et populaire, et de devenir, sous des règles générales et hautement affirmées de justice et de paix, le gardien le plus vigilant de la patrie graduellement transformée.

Il faut qu’il intervienne, et au plus tôt, pour la sécurité de la France, condition de sa libre évolution intérieure ; car j’ai démontré que l’organisme militaire présent est à bout de souffle, que l’organisation présente de la défense nationale est inconsistante et débile. Ainsi la classe ouvrière française est placée dès maintenant dans ce dilemme : ou de laisser la France sans protection suffisante tout en gaspillant son temps et sa force au service d’une institution contradictoire et vieillie ; ou bien de procéder elle-même à l’organisation d’un système de défense nouveau qu’elle a, seule, la force de promouvoir et de faire vivre. Et il ne suffira pas qu’elle adopte des formules, même positives et précises, de réorganisation, il faudra que par une application sérieuse et constante elle donne à ces formules vie et réalité.

À quoi servira, par exemple, de proclamer la supériorité du régime des milices sur le régime de caserne, si le peuple ouvrier ne se prête pas à toute la libre éducation militaire, aux exercices de gymnastique et de tir, aux manœuvres de plein air, qui remplaceront le stérile et funeste dressage