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Page:Jaurès - L'Armée nouvelle, 1915.djvu/352

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d’aujourd’hui ? Les obligations légales qui mettront en branle tout l’appareil nouveau seront presque sans effet si elles ne sont pas soutenues par l’assentiment moral, par la sympathie active du peuple lui-même.

Et à quoi servira que le prolétariat puisse intervenir par ses groupements, par la force du principe électif, dans le recrutement et l’avancement des officiers, s’il se désintéresse de la valeur technique, morale et sociale des cadres ?

Que sera une milice de trois millions d’hommes, même avec la forte charpente légale que notre loi lui donne, si les cent mille sous-officiers, recrutés pour une large part dans les prolétaires, ne voient dans la défense du pays qu’une corvée rebutante ? Encore une fois, c’est un problème vital qui est posé à la France et au prolétariat. Ou la France s’attardera dans une forme militaire surannée, inconsistante et insuffisante, et elle sera à la merci de tous les hasards : ou la classe ouvrière interviendra délibérément pour créer un système nouveau, plus vivant et plus vaste, et pour en assurer de plein cœur le fonctionnement. Mais pourquoi ne le ferait-elle point ?

Ce que les ouvriers, les socialistes reprochent à l’armée, c’est d’être, aux mains de la bourgeoisie, l’instrument des répressions intérieures et des aventures extérieures. À vrai dire, elle n’est, en effet, qu’un instrument. Elle n’a pas une force propre, une volonté autonome, une politique à elle. Elle est, au moins en France, la servante du pouvoir civil. Même quand elle commet des excès odieux, même quand elle viole la Constitution, menace ou écrase la liberté, fusille le peuple, ce n’est point par l’initiative de ses chefs qu’elle agit, ce n’est point pour son intérêt propre et direct.

En Espagne, en Turquie, en Grèce, l’armée fait, de son propre mouvement, des révolutions, bienfaisantes ou malfaisantes. En France, elle n’est qu’un outil dans le conflit des forces sociales. La grande Révolution française a été une révolution civile et elle a marqué de son empreinte