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Page:Jaurès - L'Armée nouvelle, 1915.djvu/353

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toute l’histoire qui a suivi. Les grenadiers de Brumaire n’opéraient pas au profit d’une caste. L’élévation du général Bonaparte avait été rendue possible par le long déchirement où les partis s’étaient épuisés et auquel l’armée avait été étrangère. Bonaparte lui-même affectait d’être en dehors et au-dessus de l’armée, et sa fortune a inquiété au moins autant ses compagnons d’armes que les révolutionnaires restés fidèles à la République. Quoique présidée par un général, le général Cavaignac, la formidable répression de Juin n’a pas été machinée par des soldats et pour l’intérêt des soldats. Elle n’avait pas pour but d’accroître la puissance de la caste militaire dans la République. Elle fut l’œuvre d’une bourgeoisie égoïste et apeurée, à la fois violente et sournoise, qui guettait depuis des mois l’occasion d’écraser d’un coup le socialisme. L’Église, qui savait très bien qu’elle ne pouvait avoir raison de la République démocratique que si la classe ouvrière meurtrie et violentée se détournait avec dégoût de la bourgeoisie républicaine, a poussé furieusement au conflit et elle s’est servie du glaive. Mais en s’en servant, elle le redoutait, Montalembert craignait que la force matérielle assumât seule le maintien de l’ordre bourgeois et que la société, trop aisément sauvée par le sabre, ne se crût dispensée de recourir à la force morale, c’est-à-dire à la puissance catholique et à l’éducation cléricale.

Dans l’abominable coup d’État de Décembre, préparé par l’aveugle enthousiasme napoléonien d’une trop grande partie des masses paysannes et par l’égoïsme de la bourgeoisie qui avait brisé la force populaire et étouffé la flamme républicaine, les généraux ambitieux et jouisseurs, groupés autour du prétendant, n’ont qu’une responsabilité de second ordre. Ce fut un coup d’État social, conservateur et bourgeois, beaucoup plus qu’un coup d’État militaire. À coup sûr, le sinistre aventurier fut servi dans ses desseins par l’esprit d’obéissance passive de l’armée, par le mécanisme brutal d’autorité qui met les soldats et les officiers même à la merci de quelques chefs audacieux, par