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Page:Jaurès - L'Armée nouvelle, 1915.djvu/356

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mêmes ne formaient pas une caste politiquement et socialement homogène qu’on pût jeter comme un bloc contre la république légale. C’est ainsi qu’après une dure épreuve et de poignantes alarmes la démocratie républicaine l’emporta, par la seule force du suffrage universel et sans qu’un conflit ait éclaté entre la République et l’armée. Pourtant les esprits prévoyants et pénétrants pouvaient dès lors se dire qu’il aurait suffi que le parti républicain fût un peu moins décidé, un peu moins uni, pour que le gouvernement de réaction jetât dans la lutte l’armée elle-même, qui aurait subi sans doute la pression du formidable mécanisme des hiérarchies de caserne. Mais ce n’est pas de ce côté qu’apparaissait le péril le plus pressant et le plus certain. L’armée était restée dans l’ombre et le silence comme une réserve ambiguë et redoutable, que les réacteurs hésitaient à mettre en jeu, de peur qu’elle n’éclatât en leurs mains. Le clergé, au contraire, évêques et curés, s’était jeté au premier plan de la bataille et ce n’est pas contre le militarisme, ce n’est pas contre une institution militaire où la volonté et le droit du peuple ne pouvaient pas s’exprimer avec assez de force, c’est contre le cléricalisme et les moines que la République, légalement victorieuse au Seize-Mai, engagea le combat.

Dans la crise boulangiste même, ce n’est pas l’armée qui a été la cause directe du péril : ce n’est pas de l’institution militaire qu’est venue la honteuse et louche menace de dictature et de césarisme. Le général Boulanger n’a pas commencé par se faire un parti dans l’armée, je veux dire parmi les officiers, pour peser ensuite sur la volonté nationale. Il n’a pas formulé, si je puis dire, un mécontentement corporatif et des ambitions de caste. Il ne s’est pas élevé en murmurant aux généraux, aux colonels, aux capitaines : Vous languissez avec une solde médiocre, vous végétez dans une vie obscure, et pendant ce temps des politiciens bavards se poussent et prospèrent. Il ne leur a même pas dit par une courtisanerie plus noble : Les années passent sans que la France se prépare vraiment à la re-