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Page:Jaurès - L'Armée nouvelle, 1915.djvu/357

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vanche et sans qu’elle y soit préparée ; les hommes d’État de la République orléaniste, héritiers, malgré leurs formules, de la paix à tout prix, parlent sans cesse de la patrie, mais ils n’y pensent guère ou du moins ils ne songent pas à lui rendre son intégrité. Ils absorbent son énergie, ils éteignent sa flamme dans de vaines querelles intérieures. Formons au-dessus des partis le grand parti de l’action nationale ! Aidez-moi à monter : Soutenez-moi ; et je subordonnerai le Parlement ; j’entraînerai la France dans des voies plus hardies ; je déterminerai la grande crise extérieure qui ne peut être ajournée encore sans abdication et abâtardissement et je donnerai à l’armée qui s’étiole et qui s’ennuie les émotions du danger, de la gloire et de la fortune. Ce n’est pas ainsi qu’il a parlé aux officiers, ou plutôt ce n’est pas à eux qu’il a parlé, et il y a tout lieu de croire que les officiers ont tout d’abord accueilli avec quelque défiance, ou quelque dédain aristocratique, ce général d’infanterie, sans haute compétence ni services éclatants, qui se poussait subitement au Ministère par la faveur de politiciens radicaux ; et s’il a pu se constituer ensuite un parti parmi les officiers, c’est quand il avait déjà, par d’autres forces, conquis le pouvoir, c’est-à-dire le moyen de récompenser une clientèle.

En fait, c’est à la foule que le général Boulanger a demandé le pouvoir, ou du moins cette popularité première qui était un des éléments du pouvoir, et qui ne tarda pas à se combiner avec l’intrigue réactionnaire. Ce n’est ni une intervention militaire, ni une démarche des généraux, qui l’avait porté au Ministère de la Guerre : et ce n’est pas une conspiration militaire qui l’acheminait vers la dictature. Nombreux étaient les chefs qui le jalousaient, le surveillaient et le détestaient. Quand, par ses habitudes de parade et par quelques mesures de détail grossies en une réclame de bateleur, il conquérait une sorte de popularité auprès des soldats, ce n’était pas surtout pour tenir mieux en mains l’armée elle-même, c’était pour que, de la caserne, cette popularité facile se répandît dans la cité, et par ce