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Page:Jaurès - L'Armée nouvelle, 1915.djvu/359

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nécessaires à sa propagande, il déposa son épée au mont-de-piété de la monarchie banquière. Ce n’est pas contre la force propre de l’organisation militaire, c’est contre un détestable esprit de démagogie chauvine que la République avait eu à lutter.

Plus spécialement militaire, au moins en sa forme, a été la crise nationaliste. Cette fois encore ce n’est pas l’armée qui a donné le branle, ce n’est pas elle qui a donné l’assaut. L’Église qui, par le gouvernement conservateur de M. Méline, s’infiltrait, mais qui était impatiente de victoires plus décisives, a cru qu’elle pouvait, en dénonçant la prétendue intrigue ourdie pour sauver un officier traître, protégé de la juiverie et des loges, prendre la direction d’un mouvement national, assurer ainsi avec éclat son empire sur l’opinion et s’installer en maîtresse dans l’armée, dont elle avait déjà, par une action patiente, profonde et occulte, conquis les états-majors. Elle combattrait pour elle-même d’autant plus efficacement qu’elle paraîtrait ne combattre que pour la patrie et pour l’armée, sauvegarde de la patrie. Elle rayonnerait comme la force vraiment française, et en jetant le discrédit, un soupçon vaste de trahison, sur tous les partis de démocratie et de pensée libre qui ne s’associeraient point à l’œuvre de salut national, elle pourrait ensuite plus sûrement atteindre, dans toutes les institutions de la République, ce principe de laïcité dont elle aurait montré au pays, averti enfin par la révolte de l’instinct vital, l’influence désorganisatrice et les conséquences presque mortelles.

C’était, semblait-il, un admirable terrain de combat, et du coup toutes les forces du passé s’y déployèrent, dans l’espoir soudain d’une grande revanche indirecte, mais certaine, hypocrite, mais complète, des défaites directes qu’elles avaient subies depuis trente ans. Ainsi l’armée fut enveloppée, portée, entraînée par un vaste mouvement de contre-révolution dont elle était le prétexte et le point d’appui plus encore que l’origine, et qui dépassait à coup sûr la pensée de beaucoup des officiers républicains qui,