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Page:Jaurès - L'Armée nouvelle, 1915.djvu/360

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d’abord, et trop longtemps, s’y abandonnèrent. Mais enfin cette fois, et pour la première fois depuis l’origine de la République, c’est l’armée elle-même qui était directement en jeu et en bataille. Dans la répression de la Commune, elle n’avait été qu’un instrument. Dans la crise du Seize Mai, elle avait assisté, à la fois passive et inquiète, à une lutte qui se développait d’abord en dehors d’elle et où la contre-révolution n’osa pas enfin la jeter. Dans le boulangisme, elle avait fourni, par la badauderie de ses soldats, un appoint à la badauderie de la foule, mais elle n’avait pas mis sa force permanente d’organisation au service de l’aventurier sorti de ses rangs et dont malgré tout elle ne s’est jamais reconnue solidaire. Maintenant, c’est bien la caste militaire, ou, si l’on veut, la corporation militaire qui entrait en ligne. C’est pour couvrir un crime militaire, commis dans les bureaux de l’état-major, que tout l’état-major donnait, impérieux, menaçant, se dressant comme une puissance supérieure aux autres puissances, prétendant se soustraire aux règles communes de la justice et du droit commun de la preuve ; invoquant, pour justifier, un attentat, les nécessités spéciales de la défense du pays ; organisant des campagnes de presse pour égarer la France, pour dénoncer et flétrir ceux qui essayaient de l’éclairer ; sacrifiant à un prétendu honneur de l’armée l’honneur de la nation et les droits les plus élémentaires de l’homme dans la société moderne ; menaçant le jury de toutes les catastrophes, et de la ruine même de la patrie, s’il osait dire la vérité ou seulement la voir ; se servant du faux et acceptant qu’on le glorifiât comme un effort suprême de patriotisme ; proclamant, dans cette guerre contre le droit, la solidarité de toutes les puissances d’autorité ; érigeant le militarisme en idole monstrueuse, protectrice de toutes les autres idoles.

Et la masse des officiers laissait dire et laissait faire. Elle ne protestait pas contre l’abus qui était fait de son honneur, ou plutôt, trompés par leurs chefs et acceptant trop aisément d’être trompés, la plupart des officiers trai-