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Page:Jaurès - L'Armée nouvelle, 1915.djvu/362

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Si certains hommes d’État qui savaient ou qui entrevoyaient la vérité avaient eu le courage de la dire à temps, si le parti radical n’avait pas, tout d’abord et dans l’ensemble, manqué de fermeté et de clairvoyance, la crise militariste aurait avorté dès les premiers jours.

Ce qui est frappant aussi, ce qui démontre la force de la tradition civile dans la démocratie républicaine française, c’est que, même dans le milieu trouble, tout épaissi de mensonges et tout déchiré d’aveugles fureurs, que l’armée et ses champions nationalistes avaient créé alors, elle n’a pas osé un seul acte décisif, elle n’a risqué aucune tentative nette. Les chefs ont chicané, ergoté, falsifié, menacé. Ils ont enveloppé de leurs manœuvres les Ministres de la Guerre successifs et ils en ont fait des jouets misérables. Ils ont délégué à la tribune du Parlement un ministre félon qui avait mandat de surprendre la Chambre et le Gouvernement même par une démission imprévue et irrégulière. Ils ont faussé autant qu’il était en eux les ressorts de la justice, ils ont encouragé de leurs sympathies des bandes de coupe-jarrets. Ils ont créé une atmosphère ignoble de coup d’État, mais l’éclair n’a pas jailli. Et ce n’est pas, sans doute, l’audace personnelle qui a manqué, mais l’habitude de l’action militaire spontanée et des grandes initiatives communes.

Ainsi, cette fois encore, malgré tout, la vérité, le droit, la liberté républicaine l’ont emporté. Et la démocratie victorieuse a commencé par la limitation du service à deux ans, par l’essai de réforme si timide, hélas, et si inconsistant de la juridiction militaire, par les projets d’atténuation du Code militaire, la réforme de l’armée. Et si cette réforme de l’institution militaire a été lamentablement pauvre, empirique et lente, si même elle a été contrariée et traversée de mesures rétrogrades comme celle qui supprime en fait le recrutement régional, ce n’est point par un effet de la résistance de l’institution militaire elle-même. Après la débâcle subie dans l’affaire Dreyfus, et dans toute la crise nationaliste, par le militarisme et l’esprit de