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Page:Jaurès - L'Armée nouvelle, 1915.djvu/364

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actif, il ne risque pas d’être pris dans un mécanisme supérieur à sa force et qui déforme sa volonté. Qu’il ne craigne donc pas de lutter pour substituer à l’armée demi-nationale, demi-professionnelle, à moitié démocratique, à moitié oligarchique d’aujourd’hui, une armée vraiment nationale et populaire qui ne pourra être tournée contre le droit de la classe ouvrière et contre sa volonté de paix.

Qu’il ne craigne pas de rechercher et d’exercer, dans l’institution militaire, la plus grande part possible de commandement, afin d’assurer le fonctionnement de l’armée populaire selon l’esprit qui l’aura créée. Et qu’il n’allègue point que, par là, il assumera la responsabilité des répressions sanglantes qui, dans les conflits sociaux, meurtrissent la classe ouvrière ; car d’abord si cette objection valait, ce n’est pas seulement comme officiers ou comme sous-officiers que les prolétaires, les socialistes, les démocrates, devraient refuser de servir ; c’est comme soldats, car les soldats aussi sont exposés à être, contre les prolétaires en grève ou en révolution, les instruments de la répression bourgeoise, ou plutôt c’est comme soldats que les prolétaires sont le plus passifs. Dans un commandement moins modeste, comme lieutenants ou sous-officiers, ils peuvent atténuer la rigueur des ordres reçus, adoucir la brutalité des consignes, substituer dans le maintien même de l’ordre des procédés prudents de conciliation aux initiatives provocantes. Les soldats, au contraire, quand ils sont jetés par un ordre précis dans un conflit brutal, sont obligés souvent ou de se risquer à la désobéissance formelle, ou d’exécuter passivement la consigne de violence ou de meurtre.

Si donc, par peur d’être employés à la politique bourgeoise, le prolétariat et la démocratie socialiste refusaient de fournir des cadres à l’armée nouvelle, la logique voudrait qu’ils combattent toute institution de service militaire universel et qu’ils laissent ou à des troupes soldées, ou à des contingents africains, ou à une garde civile bourgeoise, avec toute la responsabilité des interventions répressives