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Page:Jaurès - L'Armée nouvelle, 1915.djvu/367

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en atténuant la misère du peuple, de prévenir les explosions de désespoir et de révolte instinctive qui se mêlent encore parfois à ses revendications de justice. Assurez vraiment les travailleurs contre les risques de la vie. Protégez-les, assurez-les contre les conséquences de la maladie, du chômage, de l’invalidité, de la vieillesse. Faites qu’ils n’arrivent pas à la grève le cœur déjà aigri par l’excès de la souffrance, par les crises répétées de détresse et de misère, par l’insécurité de tous les jours. Faites que l’enfant de l’ouvrier puisse réellement fréquenter l’école et qu’il y reste assez pour emporter de là un petit bagage qui ne puisse plus se perdre, et le besoin d’un savoir plus vaste, principe d’une action plus méthodique et plus réfléchie. Donnez aux travailleurs, par la limitation légale de la journée de travail, assez de loisir pour qu’ils puissent vivre, et de la vie de famille et de la vie de plein air, deux forces de sérénité et d’équilibre. Faites un immense effort, par l’action combinée de l’État et des communes, pour donner aux multitudes ouvrières, trop souvent entassées dans des taudis ou exploitées par l’usure des loyers, des logements sains à des prix qui ne soient pas accablants. Dans toutes ces industries dites à domicile, où les ouvriers et ouvrières ne peuvent se défendre par l’organisation et qui sont comme le creux d’ombre où s’accumulent les misères ignorées, les désespoirs silencieux et les rancunes implacables, instituez, selon l’exemple de l’Angleterre vigoureusement élargi, le minimum légal de salaire.

Qu’il n’y ait pas une seule existence qui se sente ignorée, perdue, vouée dans son isolement aux résignations mortelles ou aux révoltes furieuses, toute prête aux jours de crise à verser dans les agitations de la rue un trop-plein de colère et un arriéré de haine. Qu’il n’y ait pas, dans la vie compliquée de la société moderne, un seul recoin misérable et obscur où ne luise un rayon de justice sociale, où ne pénètre le bienfait de la grande garantie mutuelle, une lueur de l’espoir nouveau. Ayez le courage de proscrire les liqueurs empoisonneuses qui affolent les nerfs du peu-