Page:Jaurès - L'Armée nouvelle, 1915.djvu/41

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conditions qui se rapprochent le plus du service en temps de guerre.

Mais dans la réalité, il est loin d'en être ainsi ; seuls les réservistes de l'infanterie et du génie vont aux manœuvres, les réservistes de la cavalerie, les réservistes de l'artillerie n'y vont jamais. Ces derniers vont, il est vrai, aux écoles à feu, mais en nombre très restreint ; dans l'infanterie même, en dehors des réservistes convoqués au printemps et qui, bien entendu, restent à la caserne, tous les réservistes convoqués au mois d'août ne vont pas aux manœuvres : un nombre important d'entre eux est laissé dans la garnison. Le problème, tel que la loi l'a posé, est donc résolu pour une partie seulement, la plus nombreuse il est vrai, des réservistes de l'infanterie et du génie, mais il ne l'est pas pour la totalité des réservistes de l'artillerie et de la cavalerie. Nous savons bien que les instructions ministérielles relatives aux réservistes qui ne vont pas aux manœuvres recommandent de ne s'attacher qu'aux exercices en terrain varié et aux exercices de service en campagne, mais ces prescriptions ne sont guère suivies. Il faut reconnaître qu'avec les errements actuels, il est difficile qu'il en soit autrement. En fait, dans bien des cas, les appels ont lieu — et les chefs en sont plus responsables que les hommes — dans l'intérêt du service intérieur des casernes, beaucoup plus que dans l'intérêt de l'instruction des réserves. Le service continue son cours normal ; on y intercale les réservistes et c'est tout.

Il arrive même, pour les appels faits pendant la période de l'année où les effectifs de l'armée active sont réduits au minimum, c'est-à-dire entre le départ de la classe et l'arrivée du nouveau contingent, qu'on emploie les réservistes presque exclusivement aux corvées du pansage, au service de garde. Le réserviste qui a quitté ses occupations pour obéir à la loi et qui, dans le silence indifférent de cette loi, n'est même pas sûr que sa famille sera à l'abri de la faim, constate qu'il a abandonné ses affaires, ses intérêts et ses affections non pour accroître ou confirmer son instruction militaire en vue de la guerre, mais pour être employé presque exclusivement dans un quartier à des besognes qui n'ont rien de militaire. Il y a là un gaspillage de force qui ne peut échapper à personne. Il n'échappe pas, en tous cas, aux hommes des appels. Ces hommes, prêts à accepter allègrement un sacrifice utile, disposés à supporter avec bonne humeur des fatigues profitables à la défense nationale, constatent avec découragement qu'ils ont été dérangés pour rien.

Voilà ce que M. Bertaux déclarait en 1905, voilà ce que M. Messimy reprenait à son compte en i906. C'est