Page:Jaurès - L'Armée nouvelle, 1915.djvu/69

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qui font de la pensée même de Gilbert, devenue la pensée officielle des états-majors et des grandes écoles militaires, une sorte de dogme et qui prétendent immobiliser l'armée dans des formules pleines de péril, peu convenables en tout cas aux besoins des temps nouveaux. Donc il écrivait :

Ayant à analyser ici l'œuvre magistrale de Clausewitz, nous disions que son livre est plus suggestif encore qu'instructif, qu'il force à penser plus encore qu'il n'enseigne. Apôtre de toutes les énergies guerrières, il sollicite naturellement toutes les énergies intellectuelles, et non l'acceptation passive d'une doctrine.

Ce jugement nous revient à l'esprit au moment de conclure sur le livre du colonel Maillard. Il semble qu'il s'y applique exactement. Clausewitz bénéficie sans doute du recul historique, et demeure le maitre dont le colonel compte parmi les plus fervents disciples ; mais le rapprochement que nous établissons n'a rien qui puisse offenser sa mémoire. Il existe, entre ces deux écrivains, entre ces deux soldats, une étroite parenté morale. Leur œuvre procède d'un même sentiment d'ardent patriotisme ; elle y trouve parfois des accents d'une réelle éloquence ; elle s'adresse à deux armées en voie de relèvement et résume pour elles les durs enseignements du passé ; elle est empreinte enfin d'un sens philosophique qui en est la marque distinctive.

C'est en effet la philosophie de la guerre, les principes d'emploi des forces que le colonel Maillard, après Clausewitz, cherche à dégager de l'expérience du passé, et plus encore des formules qui l'obscurcissent dans le présent.

« La conduite des armées, écrit-il excellemment, ne peut reposer que sur, des procédés absolument simples ; autrement ce serait le désordre. Elle réclame aujourd'hui comme toujours, de la part des chefs, de grandes qualités naturelles, un savoir professionnel qui s'étend sans cesse, une haute culture de l'intelligence, mais surtout l'esprit de réflexion, de calcul, en un mot l'esprit philosophique qui fait saillir les causes de l'observation des faits, et qui, sans préjugés, agissant dans la plénitude de son indépendance, approprie dans chaque circonstance les moyens au but.

« Cette idée maîtresse de notre enseignement à l'École de guerre débarrasse les esprits militaires des formules et des images, les force à réfléchir toujours et les prépare ainsi au véritable esprit de la guerre. »

Ce livre, avons-nous dit, est suggestif. Entre toutes les idées qu'il éveille, nous nous arrêterons, pour le fermer, sur la pensée réconfortante qu'enferme cette dernière phrase. Déguisée sous la forme trop modeste d'un vœu elle pourrait se produire comme