Page:Jaurès - L'Armée nouvelle, 1915.djvu/71

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en appliquant les idées tactiques de Napoléon qu'ils ont eu raison de nous qui les avions un moment oubliées. Ces idées sont restées vivantes, elles sont restées vraies. Elles ne sont pas seulement pour la France un patrimoine de gloire, elles sont un patrimoine de force. Pour retrouver l'audace, l'énergie des efforts concentrés, le secret de la grande action rapide et de la victoire, la France n'a qu'à rentrer dans sa tradition propre, exploitée contre elle par l'étranger qui a envahi et usurpé ses méthodes avant d'envahir et d'usurper son territoire. L'idée commune dont procèdent les études de Gilbert, c'est de démontrer, comme il le dit lui-même,

…que Napoléon est non seulement un maître inimitable, mais qu'il est demeuré le Maître, que ses leçons n'ont point vieilli.

Pourquoi n'ont-elles pas vieilli ?

D'abord parce que Napoléon a eu dans l'ordre des mouvements militaires le génie de la liberté. Il a libéré l'armée de toute entrave, de toute convention paralysante. Il l'a délivrée de l'obsession du terrain, qui hantait les généraux d'ancien régime, beaucoup plus préoccupés de chercher des « positions naturellement fortes », d'où ils pouvaient défier l'adversaire, que de le briser par des mouvements concentrés et rapides. Il l'a libérée de l'ordre tactique immuable inventé par Frédéric. Celui-ci recourait toujours aux mêmes procédés : dérober une de ses ailes au choc de l'ennemi et tenter avec l'autre une manœuvre débordante pour prendre l'ennemi en flanc ou à revers. Rien de pesant ni de rigide dans la tactique napoléonienne. Avant tout, ce sont les hommes qui gagnent la bataille. Ce n'est pas le terrain. L'essentiel, c'est de manœuvrer hardiment, vite et au loin ; c'est de pousser ses forces en avant, les divisant pour leur permettre de vivre en marche, mais les tenant toujours en état de se réunir, de se concentrer, et les portant soudain, avec un irréductible effet de masse, sur le point des forces adverses que l'on a choisi. Il se garde bien de choisir, pour les attaquer, les rassemblements secondaires :