Page:Jaurès - Les Preuves.djvu/120

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la poste et de l’y faire saisir. Le colonel Picquart, dans l’hypothèse où il aurait voulu donner à une pièce fausse un caractère authentique, n’avait donc aucun intérêt à la faire timbrer.

Ce qui faisait l’authenticité du petit bleu c’est au contraire qu’il vint directement, comme le bordereau, et par les mêmes voies que lui, de la légation militaire allemande.

D’ailleurs, quel intérêt pouvait avoir, en mai 1896, le chef du service des renseignements, à fabriquer un faux contre Esterhazy ?

Bien mieux, quel intérêt pouvait avoir, à ce moment, n’importe quelle personne au monde, à user contre Esterhazy d’une pièce fausse ?

Les adversaires de la révision du procès Dreyfus ont indiqué que la famille Dreyfus et ses amis voulaient substituer au condamné un autre coupable et qu’ils avaient choisi à cet effet Esterhazy.

Nous verrons que cette hypothèse désespérée ne résiste pas à l’examen.

Mais, même dans ce cas, quel intérêt aurait-on eu, en mai 1896, à fabriquer cette carte-lettre contre Esterhazy ?

Ou bien, à ce moment-là, on ignorait que toute la conduite d’Esterhazy était abominable et suspecte, qu’il avait écrit à Mme de Boulancy des lettres odieuses et qu’entre son écriture et celle du bordereau il y avait une ressemblance « effrayante », comme il le dit plus tard lui-même.

Si on ignorait tout cela, il était bien inutile de créer contre Esterhazy un faux qui ne mènerait à rien.

Et si au contraire, on pouvait savoir, dès ce moment-là, que des charges réelles, sérieuses, terribles, pesaient sur Esterhazy, à quoi bon, au lieu de produire directement ces charges, compromettre une cause solide par la fabrication d’un faux ?

La carte-lettre ne pouvait pas constituer une preuve : elle pouvait simplement mettre sur la piste. À quoi bon