Page:Jaurès - Les Preuves.djvu/121

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ouvrir cette piste par un faux, si l’on avait déjà des soupçons graves contre Esterhazy ? Et si on n’avait pas à cette époque la moindre connaissance d’Esterhazy, par quel miracle la piste ouverte par un faux conduira-t-elle précisément à un homme dont l’écriture ressemble « effroyablement » à celle du bordereau ?

La vérité, c’est qu’à cette date, personne aux bureaux de la guerre, personne non plus parmi ceux qui croyaient à l’innocence de Dreyfus, n’avaient la moindre connaissance d’Esterhazy.

Personne ne pouvait donc songer à fabriquer un faux destiné à le perdre. Ce faux était inutile dans tous les cas. Il était inutile s’il n’y avait pas d’autres charges contre Esterhazy ; il était inutile aussi s’il y avait d’autres charges.


V

Enfin, voici qui coupe court à toute controverse. Depuis deux ans, depuis l’automne de 1896, depuis que le colonel Picquart, en enquêtant sur Esterhazy, a découvert qu’il était l’auteur véritable du bordereau, le traître véritable, des haines effroyables se sont abattues sur le colonel Picquart.

Les bureaux de la guerre, responsables de l’enquête contre Dreyfus et de la condamnation d’un innocent, ont juré une haine sans merci à l’homme qui, en découvrant leur erreur, humiliait leur amour-propre et compromettait leur avenir.

La haute armée, exaspérée par le rude coup qu’un officier portait à l’infaillibilité militaire, est acharnée à le perdre.

La réaction cléricale et antisémite, qui, il y a quatre ans, a saisi le juif Dreyfus comme une proie et qui ne veut pas le rendre, dénonce le colonel Picquart comme un malfaiteur public.

Les gouvernants, incapables de résister à l’opinion