Page:Jaurès - Les Preuves.djvu/28

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de l’acte qu’ils ont accompli sans doute inconsciemment, et, pressés de dire la vérité, ils n’ajouteront pas à leur funeste imprudence la honte d’une dénégation mensongère ou la lâcheté d’un silence calculé.

En tout cas, il est prodigieux qu’on puisse dire et écrire dans notre pays, que, pour qu’un crime soit comme nul et non avenu, il suffit qu’il ait été commis par des juges à huis clos. Quoi ! des indices graves, décisifs même, les indiscrétions de l’État-Major écrivant aux journaux, les confidences des juges eux mêmes, le silence embarrassé du ministre compromis, le silence de tous les gouvernants, tout Cela permettra d’affirmer qu’un Conseil de guerre a jugé un homme comme on abat un chien suspect, sans discussion, sans garantie ! Et parce que ce crime a été commis dans l’obscurité du huis clos, il faudra renoncer à jamais à tout espoir de vérité, à tout espoir de justice !

Il semble au contraire que le huis clos, en isolant le juge, accroît sa responsabilité. Il l’oblige à se surveiller plus étroitement lui même, et n’ayant plus le contrôle de l’opinion publique, à accepter plus rigoureusement encore le contrôle de la loi.

Si, comme le prétend M. Alphonse Humbert, les juges peuvent abuser du huis clos pour violer la loi, s’ils peuvent décharger leur sentence sur l’accusé comme on décharge un fusil sur une bête mauvaise, et si, après ce crime, ils peuvent invoquer le huis clos pour échapper à toute enquête et se rire de toute vérité, je demande ce qui nous sépare de la barbarie.

Mais ces théories monstrueuses ne dureront qu’un jour. Elles sont l’expédient désespéré de l’État Major tremblant. Il n’ose pas nier qu’une illégalité déplorable ait été commise. Il voit que sur ce point la certitude des esprits est entière ; il espère seulement que cette certitude morale ne deviendra pas une certitude juridique et qu’il pourra échapper à une révision qui démontrerait à la fois la coupable incorrection des juges et leur erreur.