Page:Jaurès - Les Preuves.djvu/299

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cette prétendue lettre de Guillaume et les autres documents invoqués contre Dreyfus. Dans les lettres où il y a l’initiale D… les attachés militaires traitent cavalièrement leur espion et parlent de le congédier : comment l’auraient-ils fait s’il s’agissait d’un espion en relation directe avec l’empereur ?

Et dans les faux Henry, comment les attachés peuvent-ils comploter de laisser ignorer à leurs gouvernements leurs relations avec Dreyfus s’il y a rapport directs de Dreyfus et de l’empereur ?

Il n’y a pas seulement faux et crime, il y a incohérence dans le crime et dans le faux.

Aussi bien, Rochefort lui-même n’osa pas insister longuement sur cette histoire. Il comprit sans doute qu’à tendre outre mesure la crédulité de son public il la briserait, et il s’arrêta.

Depuis la fin décembre 1897, il n’a pas osé parler de nouveau de la lettre de Guillaume.

Et lui qui accusait le général Billot de trahison, parce qu’il n’assénait pas sur Scheurer-Kestner le coup de massue de la lettre impériale, il n’a pas osé demander à son ami Cavaignac la production de cette lettre.

Bien mieux, quand le faux de « la pièce décisive » citée par Cavaignac fut démontré, pourquoi Rochefort n’a-t-il pas arrêté la débâcle en s’écriant : « Mais il reste la lettre de Guillaume, qu’on la sorte ! »

Pourquoi n’a-t-il pas dit cela ? Il ne peut pas alléguer que ce serait dangereux, car c’est lui qui a lancé cette histoire, il y a un an, dans son journal.

M. Millevoye ne peut dire que ce serait dangereux, puisqu’il a donné lui-même le texte de la pièce dans une réunion publique.

Si donc ils se taisent, s’ils n’en réclament pas la production au moment où elle leur serait le plus nécessaire, c’est qu’ils ont cessé de croire au document jadis invoqué par eux. C’est qu’ils ont perdu l’espoir de faire accepter au public une aussi énorme imbécillité.