Page:Jaurès - Les Preuves.djvu/306

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chacun au ministère de la guerre se constituait des dossiers à son usage personnel.

Quelle anarchie incroyable et comme elle est favorable à l’éclosion des faux !

Voilà le colonel Sandherr, chef du service des renseignements, et déjà miné par une paralysie cérébrale, qui recueille pour son usage personnel un dossier inconnu de ses collaborateurs.

Il se réserve, lui, personnellement, d’en faire usage, comme si des pièces d’espionnage pouvaient être sa propriété.

Et qui ne voit qu’en opérant ainsi tout seul, sans le contrôle même de ses collaborateurs, il s’exposait aux pires mésaventures ? Il était à la merci du premier coquin qui lui vendait des pièces fausses.

Et qu’a voulu le colonel Henry en nous parlant du dossier personnel que s’était constitué le colonel Sandherr et de la lettre ultra-mystérieuse sur laquelle il a dû jurer un éternel silence ? Évidemment le colonel Henry se réservait d’authentiquer par là les documents nouveaux et décisifs qui surgiraient, au besoin, contre Dreyfus.

Il était si facile de dire : Oui, oui ; cela était dans les papiers du colonel Sandherr.

Et je ne serais pas surpris que les bureaux de la guerre eussent formé le plan de rattacher à cette source mystérieuse la prétendue lettre de Guillaume, si l’opinion tâtée par Rochefort et Millevoye faisait mine de la prendre au sérieux.

En tout cas, nous savons que la grande officine de faux qui fonctionnait au ministère de la guerre se divisait en plusieurs laboratoires. Le faussaire Henry lui-même nous apprend que le colonel Sandherr avait son dossier à lui.

Dans cette cathédrale du mensonge et du faux il y avait plusieurs chapelles, et cette anarchie, cette incohérence dans le crime explique les résultats lamentables auxquels l’État-Major a abouti.