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Page:Jean de Léry - Voyage au Brésil - Gaffarel vol 1, 1880.djvu/104

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dans nostre vaisseau. Quand nous fusmes par les douze degrez, nous eusmes tormente qui dura trois ou quatre jours. Et apres cela (tombans en l’autre extremité) la mer fut si tranquille et calme, que durant ce temps nos vaisseaux demeurans fix sur l’eau, si le vent ne se fust eslevé pour nous faire passer outre, nous ne fussions jamais bougez de là.

Or en tout nostre voyage nous n’avions point encore apperceu de Baleines, mais outre qu’en ces endroits-là nous en vismes d’assez pres : pour les bien remarquer, il y en eut une, laquelle se levant pres de nostre navire me fit si grand peur, que veritablement, jusques à ce que je la vis mouvoir, je pensois que ce fust un rocher contre lequel nostre vaisseau s’allast heurter et briser. J’observay que quand elle se voulut plonger, levant la teste hors de la mer, elle jetta en l’air par la bouche plus de deux pipes d’eau : puis en se cachant fit encores un tel et si horrible bouillon, que je craignois derechef, qu’en nous attirans apres soy, nous ne fussions engloutis dans ce gouffre. Et à la verité, comme il est dit au Pseaume, et en Job, c’est une horreur de voir ces monstres marins s’esbatre et jouer ainsi à leur aise parmi ces grandes eaux.

Nous vismes aussi des Dauphins, lesquels suyvis de plusieurs especes de poissons, tous disposez et arrengez comme une compagnie de soldats marchans apres leur Capitaine, paroissoyent dans l’eau estre de couleur rougeastre : et y en eut un, lequel par six ou sept fois, comme s’il nous eust voulu cherir et caresser, tournoya et environna nostre navire. En recompense de quoy nous fismes tout ce que nous peusmes pour le cuider prendre : mais luy avec sa trompe, faisant tousjours dextrement la retraite, il ne nous fut pas possible de l’avoir.