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Page:Jean de Léry - Voyage au Brésil - Gaffarel vol 1, 1880.djvu/109

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ment à fin que d’autres François qui sans y penser arrivans là en eussent peu porter la peine) ne les voulans fascher ny retenir, eux demandans de retourner en terre vers leurs gens qui les attendoyent tousjours sur le bord de la mer, il fut question de les payer et contenter des vivres qu’ils nous avoyent apportez. Et parce qu’ils n’ont entr’eux nul usage de monnoye, le payement que nous leur fismes fut de chemises, cousteaux, haims à pescher, miroirs, et autre marchandise et mercerie propre à trafiquer parmi ce peuple. Mais pour la fin et bon du jeu, tout ainsi que ces bonnes gens, tous nuds, à leur arrivée n’avoyent pas esté chiches de nous monstrer tout ce qu’ils portoyent, aussi au despartir qu’ils avoyent vestu les chemises que nous leur avions baillées, quand ce vint à s’asseoir en la barque (n’ayans pas accoustumé d’avoir linges ny autres habillemens sur eux), à fin de ne les gaster en les troussant jusques au nombril, et descouvrans ce que plustost il falloit cacher, ils voulurent encores, en prenant congé de nous, que nous vissions leur derriere et leurs fesses. Ne voila pas d’honnestes officiers, et une belle civilité pour des ambassadeurs ? car nonobstant le proverbe si commun en la bouche de nous tous de par deçà : assavoir que la chair nous est plus proche et plus chere que la chemise, eux au contraire, pour nous monstrer qu’ils n’en estoyent pas là logez, et possible pour une magnificence de leur pays en nostre endroit, en nous monstrans le cul preferent leurs chemises à leur peau.

Or apres que nous nous fusmes un peu rafraischis en ce lieu-là, et que quoy qu’à ce commencement les viandes qu’ils nous avoyent apportées nous semblassent estranges, nous ne laississions pas neantmoins à cause de la necessité, d’en bien manger : dés le lendemain qui estoit un jour de dimanche, nous levasmes l’ancre