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Page:Jean de Léry - Voyage au Brésil - Gaffarel vol 1, 1880.djvu/120

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Richier eut invoqué Dieu, et que le Pseaume cinquiesme, Aux paroles que je veux dire, etc. fut chanté en l’assemblée, ledit Richier prenant pour texte ces versets du Pseaume vingtseptiesme, J’ay demandé une chose au Seigneur, laquelle je requerray encores, c’est, que j’habite en la maison du Seigneur tous les jours de ma vie, fit le premier presche au fort de Coligni en l’Amerique. Mais durant iceluy, Villegagnon, entendant exposer ceste matiere, ne cessant de joindre les mains, de lever les yeux au ciel, de faire de grands souspirs, et autres semblables contenances, faisoit esmerveiller un chacun de nous. A la fin apres que les prieres solennelles, selon le formulaire accoustumé és Eglises reformées de France, un jour ordonné en chacune semaine, furent faites, la compagnie se despartit. Toutesfois, nous autres nouveaux venus demeurasmes et disnasmes ce jour-là en la mesme salle, où pour toutes viandes, nous eusmes de la farine faite de racines : du poisson boucané, c’est à dire rosti, à la mode des sauvages, d’autres racines cuictes aux cendres (desquelles choses et de leurs proprietez, à fin de n’interrompre ici mon propos, je reserve à parler ailleurs) et pour bruvage, parce qu’il n’y a en ceste isle, fontaine, puits ni riviere d’eau douce, de l’eau d’une cysterne, ou plustost d’un esgout de toute la pluye qui tomboit en l’isle, laquelle estoit aussi verte, orde et sale qu’est un vieil fossé couvert de grenouilles. Vray est qu’en comparaison de celle eau si puante et corrompue que j’ay dit ci devant que nous avions beuë au navire, encore la trouvions nous bonne. Finalement nostre dernier mets fut, que pour nous rafraischir du travail de la mer, au partir de là, on nous mena tous porter des pierres et de la terre en ce fort de Coligni qu’on continuoit de bastir. C’est le bon traitement que Villegagnon nous fit dés