Page:Jean de Léry - Voyage au Brésil - Gaffarel vol 1, 1880.djvu/51

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de tenir lors, je l’ay encores icy inserée de mot à mot.


Teneur de la lettre de Villegagnon envoyée de l’Amerique à Calvin.

Je pense qu’on ne scauroit declarer par paroles combien m’ont resjouy vos lettres, et les freres qui sont venus avec icelles. Ils m’ont trouvé reduit en tel poinct qu’il me faloit faire office de Magistrat, et quant et quant la charge de Ministre de l’Eglise : ce qui m’avoit mis en grande angoisse. Car l’exemple du Roy Ozias me destournoit d’une telle maniere de vivre : mais j’estois contraint de le faire, de peur que nos ouvriers, lesquels j’avois prins à louage et amenez pardeçà, par la frequentation de ceux de la nation, ne vinsent à se souiller de leurs vices : ou par faute de continuer en l’exercice de la Religion tombassent en apostasie, laquelle crainte m’a esté ostée par la venue des freres. Il y a aussi cest advantage que, si d’oresenavant il faut travailler pour quelque affaire, et encourir danger, je n’auray faute de personnes qui me consolent et aident de leur conseil : laquelle commodité m’avoit esté ostée par la crainte du danger auquel nous sommes. Car les freres qui estoyent venus de France pardeçà avec moy, estans esmeus pour les difficultez de nos affaires s’en estoyent retirez en Égypte, chacun allegant quelque excuse. Ceux qui estoyent demeurez, estoyent pauvres gens souffreteux et mercenaires, selon que pour lors je les avois peu recouvrer. Desquels la condition estoit telle que plustost il me falloit craindre d’eux que d’en avoir aucun soulagement. Or la cause de ceci est, qu’à nostre arrivée toutes sortes de fascheries et difficultez se sont dressées, tellement que je ne scavois bonnement quel advis prendre, ny par quel bout commencer.