Page:Jean de Léry - Voyage au Brésil - Gaffarel vol 1, 1880.djvu/53

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A cause de ces difficultez, mes amis qui m’avoyent suyvi, tenans nos affaires pour desesperées, comme j’ay desja demonstré, ont rebroussé chemin : et de ma part aussi j’en ay esté aucunement esmeu.

« Mais d’autre costé pensant à part moy que j’avois asseuré mes amis que je me departois de France à fin d’employer à l’avancement du regne de Jesus Christ le soin et peine que j’avois mis par ci devant aux choses de ce monde, ayant cognu la vanité d’une telle estude et vacation, j’ay estimé que je donnerois aux hommes à parler de moy, et de me reprendre, et que je ferois tort à ma reputation si j’en estois destourné par crainte de travail ou de danger : davantage puisqu’il estoit question de l’affaire de Christ, je me suis asseuré qu’il m’assisteroit, et ameneroit le tout à bonne et heureuse issue. Parquoy j’ay prins courage, et ay entierement appliqué mon esprit pour amener à chef la chose laquelle j’avois entreprise d’une si grande affection, pour y employer ma vie. Et m’a semblé que j’en pourrois venir à bout par ce moyen, si je faisois foy de mon intention et dessein par une bonne vie et entiere, et si je retirois la troupe des ouvriers que j’avois amenez de la compagnie et accointance des infideles. Estant mon esprit adonné à cela, il m’a semblé que ce n’est point sans la providence de Dieu que nous sommes enveloppez de ces afaires, mais que cela est advenu de peur qu’estans gastez par trop grande oisiveté, nous ne vinssions à lascher la bride à nos appetits desordonnez et fretillans. En apres il me vient en memoire, qu’il n’y a rien si haut et mal-aisé, qu’on ne puisse surmonter en se parforçant ; partant, qu’il faut mettre son espoir et secours en patience et fermeté de courage, et exercer ma famille par travail continuel, et que la bonté de Dieu assistera à une telle affection et entreprise.