Page:Jean de Léry - Voyage au Brésil - Gaffarel vol 1, 1880.djvu/78

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pays, ainsi que nous verrons cy apres, n’en ayans jamais veu auparavant de vestues, furent bien esbahis à leur arrivée), il y avoit environ nonante personnes.

Ainsi ce mesme jour qu’environ midi nous mismes voiles au vent, à la sortie du port dudit Honfleur, les canonnades, trompettes, tabours, fifres, et autres triomphes accoutumez de faire aux navires de guerre qui vont voyager, ne manquerent point en nostre endroit. Nous allasmes premierement ancrer à la Rade de Caulx, qui est une lieuë en mer par-delà le Havre de grace : et là, selon la façon des mariniers entreprenans de voyager en pays lointains, après que les maistres et Capitaines eurent fait reveuë, et sceu le nombre certain tant des soldats que des matelots, ayans commandé de lever les ancres, nous pensions dés le soir nous jetter en mer. Toutesfois parce que le cable du navire où j’estois se rompit, l’ancre, à cause de cela, estant tiré à grande difficulté, nous ne nous peusmes appareiller que jusques au lendemain.

Ce dit jour doncques vingtiesme de Novembre, qu’ayans abandonné la terre, nous commençasmes à naviger sur ceste grande et impetueuse mer Oceane, nous descouvrismes et costoyasmes l’Angleterre, laquelle nous laissions à dextre : et dés lors fusmes prins d’un flot de mer qui continua douze jours : durant lesquels outre que nous fusmes tous fort malades de la maladie accoustumée à ceux qui vont sur mer, encores n’y avoit-il celuy qui ne fust bien espouvanté de tel branslement. Et de fait, ceux principalement qui n’avoyent jamais senti l’air marin, ny dancé telle dance, voyans la mer ainsi haute et esmeuë, pensoyent à tous coups et à toutes minutes que les vagues nous deussent faire couler en fond. Comme certainement c’est chose admirable de voir qu’un vaisseau de bois, quelque fort et grand