Page:Jean de Léry - Voyage au Brésil - Gaffarel vol 1, 1880.djvu/79

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qu’il soit, puisse ainsi resister à la fureur et force de ce tant terrible element. Car combien que les navires soyent basties de gros bois bien lié, chevillé, et bien godronné, et que celuy mesme où j’estois peust avoir environ dix-huict toises de long, et trois et demi de large, qu’est-ce en comparaison de ce gouffre et de telle largeur, profondeur, et abysmes d’eau qu’est ceste mer du Ponent ? Partant, sans amplifier icy ce propos plus avant, je diray seulement ce mot en passant, qu’on ne sauroit assez priser, tant l’excellence de l’art de la navigation en general, qu’en particulier l’invention de l’Eguille marine, avec laquelle on se conduit : dont neantmoins, comme aucuns escrivent, l’usage n’est que depuis environ deux cens cinquante ans. Nous fusmes doncques ainsi agitez, et navigeasmes avec grandes difficultez jusques au trezieme jour apres nostre embarquement, que Dieu appaisa les flots et orages de la mer.

Le dimanche suyvant ayans rencontré deux navires, marchans d’Angleterre, qui venoyent d’Espagne, apres que nos Matelots les eurent abordez, et veu qu’il y avoit à prendre dedans, peu s’en fallut qu’ils ne les pillassent. Et de faict, suyvant ce que j’ay dit, que nos trois vaisseaux estoyent bien fournis d’artillerie et d’autres munitions de guerre, nos mariniers s’en tenans fiers et forts, quand les vaisseaux plus foibles se trouvoyent devant eux et à leur merci, ils n’estoyent pas à seureté.

Et faut, puisque cela vient à propos, que je dise icy en passant à ceste premiere rencontre de navire, que j’ay veu pratiquer sur mer ce qui se fait aussi le plus souvent en terre : assavoir que celuy qui a les armes au poing, et qui est le plus fort, l’emporte, et donne la loy à son compagnon. Vray est que messieurs les mariniers, en faisans caller le voile et joindre les pauvres