Page:Jean de Léry - Voyage au Brésil - Gaffarel vol 1, 1880.djvu/86

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n'est-ce que alors se remarquant plus particulierement en cest endroit-là, quand d’un costé je regardois ce grand et plat pays qui paroissoit comme une vallée, et d’autre part la mer à l’opposite, sans estre lors autrement esmeue, neantmoins en comparaison, faisant une grande et espouvantable montagne, en me resouvenant de ce que l’Escriture dit à ce propos, je contemploye ceste oeuvre de Dieu avec grande admiration.

Pour retourner à nos escumeurs de mer, lesquels, comme j’ay dit, nous avoyent devancez dans la barque : le vingtcinquiesme de Decembre, jour de Noel, eux ayant rencontré une Caravelle d’Espagnols et tiré sur iceux quelques coups de mousquets, la prenans ainsi par force ils l’amenerent auprès de nos navires. Et parce que c’estoit non seulement un beau vaisseau, mais qu’aussi estant chargé de sel blanc, cela pleut fort à nos capitaines, eux selon la conclusion que j’ay jà dit qu’ils avoyent faite dés long temps de s’en accommoder d’un, l’emmenerent quant et nous en la terre du Bresil vers Villegagnon. Vray est qu’on tint promesse au Portugais qui avoit faict ceste prinse de luy rendre sa Caravelle : mais nos mariniers (cruels que ils furent en cest endroit) ayans mis tous les Espagnols, depossedez de la leur, pesle mesle parmi les Portugalois, non seulement ils ne laisserent morceau de biscuit ni d’autres vivres à ces pauvres gens, mais qui pis fut, leur ayant deschiré leurs voiles, et mesme osté leur petit batteau, sans lequel toutesfois ils ne pouvoyent approcher ni aborder terre, je croy, par maniere de dire, qu’il eust mieux valu les mettre en fond, que les laisser en tel estat. Et de faict estans ainsi demeurez à la merci de l’eau, si quelque barque ne survinst pour les secourir, il est certain ou qu’ils furent en fin submergez, ou qu’ils moururent de faim.

Après ce beau chef d’oeuvre, fait au grand regret