Page:Jean de Léry - Voyage au Brésil - Gaffarel vol 1, 1880.djvu/87

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de plusieurs, estans poussez du vent d’Est Suest, qui nous estoit propice, nous nous rejettasmes bien avant dans la haute mer. Et à fin qu’en recitant particulierement tant de prinses de Caravelles que nous fismes en allant, je ne sois ennuyeux au lecteur : dés le lendemain et encore le vingt et neufiesme dudit mois de Decembre, nous en prinsmes deux autres, lesquelles ne firent nulle resistance. En la premiere qui estoit de Portugal, combien que nos mariniers et principalement ceux qui estoyent dans la Caravelle Espagnole que nous emmenions, eussent grande envie de la piller, à cause de quoi tirerent quelques coups de fauconneaux à l’encontre, si est-ce qu’après que nos maistres et capitaines eurent parlé à ceux qui estoyent dedans, pour quelques respects on les laissa aller sans leur rien oster. En l’autre qui estoit à un Espagnol, il luy fut prins du vin, du biscuit et d’autres victuailles. Mais surtout il regrettoit merveilleusement une poule qu’on luy osta : car, comme il disoit, quelque tourmente qu’il fist, ne laissant point de pondre, elle luy fournissoit tous les jours un oeuf frais dans son vaisseau.

Le dimanche suyvant, après que celuy qui estoit au guet dans la grande hune de nostre navire, eut, selon la coustume, crié : Voile, voile ! et que nous eusmes descouvert cinq Caravelles, ou grands vaisseaux (car nous ne les peusmes bien discerner), nos mattelots, lesquels possible ne seront pas joyeux que je raconte ici leurs courtoisies, ne demandans, qu’où est-ce, c’est à dire d’en avoir de toutes parts, chantans le cantique devant le triomphe, les pensoyent desjà bien tenir : mais parce qu’estans au dessus de nous, nous avions vent contraire, et eux cependant singloyent et fuyoyent tant qu’ils pouvoyent, nonobstant la violence qu’on fit à nos navires, lesquelles pour l’affection du butin, en danger de nous