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Page:Jean de Léry - Voyage au Brésil - Gaffarel vol 1, 1880.djvu/91

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j’ay tantost fait mention, la Bonite, qui est des meilleurs à manger qui se puisse trouver, est presques de la façon de nos carpes communes : toutesfois elle est sans escaille, et en ay veu en fort grand nombre, lesquelles l’espace d’environ six sepmaines en nostre voyage ne bougerent gueres d’alentour de nos vaisseaux, lesquels il est vraysemblable qu’elles suyvent ainsi à cause du bret et godron dont ils sont frotez.

Quant aux Albacores, combien qu’elles soyent assez semblables aux Bonites, si est-ce neantmoins qu’en ayant veu et mangé ma part de telles qui avoyent près de cinq pieds de long et aussi grosses que le corps d’un homme, on peut dire qu’il n’y a point de comparaison de l’une à l’autre quant à la grandeur. Au surplus, parce que ce poisson albacore n’est nullement visqueux, ains au contraire s’esmie et a la chair aussi friable que la truite, mesme n’a qu’une areste en tout le corps, et bien peu de tripailles, il le faut mettre au rang des meilleurs poissons de la mer. Et de faict, combien que n’ayans pas là à commandement toutes les choses requises pour le bien apprester (comme n’ont tous les passagers qui font ces longs voyages) nous n’y fissions autre appareil sinon qu’avec du sel, en mettre rostir de grandes et larges rouelles sur les charbons, si le trouvions nous merveilleusement bon et savoureux, cuit de ceste façon. Partant si messieurs les frians, lesquels ne se veulent point hazarder sur mer, et toutesfois (ainsi qu’on dit communément que font les chats sans mouiller leurs pattes) veulent bien manger du poisson, en avoyent sur terre aussi aisément qu’ils ont d’autre marée, le faisant apprester à la sauce d’Alemagne, ou en quelque autre sorte : doutez-vous qu’ils n’en leichassent bien leurs doigts ? Je dis nomément si on l’avoit à commandement sur terre :