Page:Jean de Léry - Voyage au Brésil - Gaffarel vol 2, 1880.djvu/120

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Mais puisqu’en traittant de la police des sauvages je suis venu à parler du feu, lequel ils appellent Tata, et la fumée Tatatin, je veux aussi declarer l’invention gentile, et incognue par-deçà, qu’ils ont d’en faire quand il leur plaist (chose non moins esmerveillable que la pierre d’Escosse, laquelle, selon le tesmoignage de celuy qui a escrit des Singularitez dudit pays, a ceste proprieté, qu’estant dans des estoupes, ou dans de la paille, sans autre artifice, elle allume le feu). D’autant doncques qu’aymans fort le feu, ils ne demeurent gueres en un lieu sans en avoir, principalement la nuict qu’ils craignent merveilleusement d’estre surprins d’Aygnan, c’est à dire du malin esprit, lequel, comme j’ay dit ailleurs, les bat et tormente souvent : soit qu’ils soyent par les bois à la chasse, ou sur le bord des eaux à la pescherie, ou ailleurs par les champs : au lieu que nous nous servons à cela de la pierre et du fusil, dont ils ignorent l’usage, ayans en recompence en leur pays deux certaines especes de bois, dont l’un est presque aussi tendre que s’il estoit à demi pourri, et l’autre au contraire aussi dur que celuy dequoy nos cuisiniers font des lardoires : quand ils veulent allumer du feu, ils les accommodent de ceste sorte. Premierement apres qu’ils ont apprimé et rendu aussi pointu qu’un fuseau par l’un des bouts un baston de ce dernier, de la longueur d’environ un pied, plantant ceste pointe au milieu d’une piece de l’autre, que j’ay dit estre fort tendre, laquelle ils couchent tout à plat contre terre, ou la tiennent sur un tronc, ou grosse busche, en façon de potence renversée : tournant puis apres fort soudainement ce baston entre les deux palmes de leurs mains, comme s’ils vouloyent forer et percer la piece de dessous de part en part, il advient que de ceste soudaine et roide agitation de