Page:Jean de Léry - Voyage au Brésil - Gaffarel vol 2, 1880.djvu/123

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Quant à leur charité naturelle, en se distribuans et faisans journellement presens les uns aux autres, des venaisons, poissons, fruicts et autres biens qu’ils ont en leur pays, ils l’exercent de telle façon que non seulement un sauvage, par maniere de dire, mourroit de honte s’il voyoit son prochain, ou son voisin aupres de soy avoir faute de ce qu’il a en sa puissance, mais aussi, comme je l’ay experimenté, ils usent de mesme liberalité envers les estrangers leurs alliez. Pour exemple de quoy j’allegueray, que ceste fois (ainsi que j’ay touché au dixiesme chapitre) que deux François et moy, nous estans esgarez par les bois, cuidasmes estre devorez d’un gros et espouvantable lezard, ayans outre cela, l’espace de deux jours et d’une nuict que nous demeurasmes perdus, enduré grand faim : nous estant finalement retrouvez en un village nommé Pano, où nous avions esté d’autres fois, il n’est pas possible d’estre mieux receu que nous fusmes des sauvages de ce lieu-là. Car en premier lieu, nous ayans ouy raconter les maux que nous avions endurez : mesme le danger où nous avions esté, d’estre non seulement devorez des bestes cruelles, mais aussi d’estre prins et mangez des Margajas, nos ennemis et les leurs, de la terre desquels (sans y penser) nous nous estions approché bien pres : parce, di-je, qu’outre cela, passans par les deserts, les espines nous avoyent bien fort esgratignez, eux nous voyans en tel estat, en prindrent si grand pitié, qu’il faut qu’il m’eschappe icy de dire, que les receptions hypocritiques de ceux de par deçà, qui pour consolation des affligez n’usent que du plat de la langue, est bien esloignée de l’humanité de ces gens, lesquels neantmoins nous appellons barbares. Pour doncques venir à l’effect, apres qu’avec de belle eau claire, qu’ils furent querir expres, ils eurent commencé