Page:Jean de Léry - Voyage au Brésil - Gaffarel vol 2, 1880.djvu/124

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par là (qui me fit resouvenir de la façon des anciens) de laver les pieds et les jambes de nous trois François, qui estions assis chacun en son lict à part, les vieillards lesquels dés nostre arrivée avoyent donné ordre qu’on nous apprestast à manger, mesme avoyent commandé aux femmes, qu’en diligence elles fissent de la farine tendre, de laquelle (comme j’ay dit ailleurs) j’aimerois autant manger que du molet de pain blanc tout chaud : nous voyans un peu refraischis, nous firent incontinent servir à leur mode, de force bonnes viandes, comme venaisons, volailles, poissons et fruicts exquis, dont ils ne manquent jamais.

Davantage, quand le soir fut venu, à fin que nous reposissions plus à l’aise, le vieillard nostre hoste, ayant fait oster tous les enfans d’aupres de nous, le matin à nostre resveil nous dit : Et bien Atono-assats : (c’est à dire, parfaits alliez) avez-vous bien dormi ceste nuict ? A quoy luy estant respondu qu’ouy fort bien, il nous dit : Reposez-vous encores mes enfans, car je vis bien hier au soir que vous estiez fort las. Brief il m’est mal aisé d’exprimer la bonne chere qui nous fut lors faite par ces sauvages : lesquels à la verité, pour le dire en un mot, firent en nostre endroit ce que sainct Luc dit aux Actes des Apostres, que les barbares de l’Isle de Malte pratiquerent envers sainct Paul, et ceux qui estoyent avec luy, apres qu’ils eurent eschappé le naufrage dont il est là fait mention. Or parce que nous n’allions point par pays que nous n’eussions chacun un sac de cuir plein de mercerie, laquelle nous servoit au lieu d’argent, pour converser parmi ce peuple : au departir de là, nous baillasmes ce que il nous pleut, assavoir (comme j’ay tantost dit que c’est la coustume) cousteaux, cizeaux, et pincettes aux bons vieillards : des peignes, mirouers et bracelets,