Page:Jean de Léry - Voyage au Brésil - Gaffarel vol 2, 1880.djvu/128

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puissance. Et de fait, mon lourdaut de ce pas s’en allant querir une espée, ou plustost grosse massue de bois de cinq à six pieds de long, revenant tout soudain vers moy, continuoit tousjours à dire qu’il me vouloit tuer. Qui fut donc bien esbahi ce fut moy : et toutesfois, comme il ne faut pas faire le chien couchant (comme on parle) ny le craintif entre ceste nation, il ne falloit pas que j’en fisse semblant. Là dessus le Truchement, qui estoit assis dans un lict de cotton pendu entre le querelleur et moy, m’advertissant de ce que je n’entendois pas, me dit : Dites-luy, en tenant vostre espée au poing, et luy monstrant vostre arc et vos flesches, à qui il pense avoir affaire : car quant à vous vous estes fort et vaillant, et ne vous lairrez pas tuer si aisément qu’il pense. Somme faisant bonne mine et mauvais jeu, comme on dit, apres plusieurs autres propos que nous eusmes ce sauvage et moy, sans (suyvant ce que j’ay dit au commencement de ce chapitre) que les autres fissent aucun semblant de nous accorder, yvre qu’il estoit du caouin qu’il avoit beu tout le long du jour, il s’en alla dormir et cuver son vin : et moy et le Truchement souper et manger sa cane avec nos compagnons, qui nous attendans au haut du village, ne savoyent rien de nostre querelle.

Or cependant, comme l’issuë monstra, les Toüoupinambaoults sachans bien, qu’ayans jà les Portugais pour ennemis, s’ils avoyent tué un François, la guerre irreconciliable seroit tellement declairée entr’eux, qu’ils seroyent à jamais privez d’avoir de la marchandise, tout ce que mon homme avoit fait, n’estoit qu’en se jouant. Et de fait, s’estant resveillé environ trois heures apres, il m’envoya dire par un autre sauvage que j’estois son fils, et que ce qu’il avoit fait en mon endroit estoit seulement pour esprouver, et voir