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Page:Jean de Léry - Voyage au Brésil - Gaffarel vol 2, 1880.djvu/17

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plus larges que celles qui se voyent tant en Normandie qu’en Bretaigne, et autres endroits de par deçà : mais outre cela elles ont deux cornes assez longues, cinq ou six fendasses sous le ventre (qu’on diroit estre artificielles) la queuë longue et desliée, voire, qui pis est, si dangereuses et venimeuses, que comme je vis une fois par experience, si tost qu’une que nous avions prise fut tirée dans la barque, ayant picqué la jambe d’un de nostre compagnie, l’endroit devint soudain tout rouge et enflé. Voilà sommairement et derechef, touchant aucuns poissons de mer de l’Amerique, desquels au surplus la multitude est innombrable.

Au reste les rivieres d’eau douce de ce pays-là, estans aussi remplies d’une infinité de moyens et petits poissons, lesquels, en general, les sauvages nomment Pira-miri (car miri en leur patoys veut dire petit) j’en descriray encor seulement deux merveilleusement difformes.

Le premier que les sauvages appellent Tamou-ata n’a communément que demi pied de long, a la teste fort grosse, voire monstrueuse au pris du reste, deux barbillons sous la gorge, les dents plus aigues que celles d’un brochet, les arestes picquantes, et tout le corps armé d’escailles si bien à l’espreuve, que, comme j’ay dit ailleurs du Tatou beste terrestre, je ne croy pas qu’un coup d’espée luy fist rien : la chair en est fort tendre, bonne et savoureuse.

L’autre poisson que les sauvages nomment pana-pana, est de moyenne grandeur : mais quant à sa forme, ayant le corps, la queuë et la peau semblable, et ainsi aspre que celle du requien de mer, il a au reste la teste si plate, bigarrée et estrangement faite, que quand il est hors de l’eau, la divisant et separant