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Page:Jean de Léry - Voyage au Brésil - Gaffarel vol 2, 1880.djvu/18

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en deux, comme qui la luy auroit expressément fendue, il n’est pas possible de voir teste de poisson plus hideuse.

Quant à la façon de pescher des sauvages, faut noter sur ce que j’ay jà dit, qu’ils prennent les mulets à coups de flesches (ce qui se doit aussi entendre de toutes autres especes de poissons qu’ils peuvent choisir dans l’eau) que non seulement les hommes et les femmes de l’Amerique, ainsi que chiens barbets, à fin d’aller querir leur gibier et leur pesche au milieu des eaux, sçavent tous nager : mais qu’aussi les petits enfans dés qu’ils commencent à cheminer, se mettans dans les rivieres et sur le bord de la mer, grenouillent desjà dedans comme petits canars. Pour exemple dequoy je reciteray briefvement qu’ainsi qu’un dimanche matin, en nous pourmenans sur une plateforme de nostre fort, nous vismes renverser en mer une barque d’escorce (faite de la façon que je les descriray ailleurs) dans laquelle il y avoit plus de trente personnes sauvages, grans et petits qui nous venoyent voir : comme en grande diligence avec un bateau les pensans secourir, nous fusmes aussi tost vers eux : les ayans tous trouvez nageans et rians sur l’eau, il y en eut un qui nous dit, Et où allez-vous ainsi si hastivement, vous autres Mairs (ainsi appellent-ils les François) ? Nous venons, dismes-nous, pour vous sauver et retirer de l’eau. Vrayement, dit-il, nous vous en sçavons bon gré : mais au reste, avez-vous opinion que pour estre tombez dans la mer, nous soyons pour cela en danger de nous noyer ? Plustost sans prendre pied, ny aborder terre, demeurerions-nous huict jours dessus de la façon que vous nous y voyez. De maniere, dit-il, que nous avons beaucoup plus de peur, que quelques grans poissons ne nous traisnent en fond, que nous ne