Page:Jean de Léry - Voyage au Brésil - Gaffarel vol 2, 1880.djvu/171

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laissa venir donner et frapper de telle impetuosité dans les voiles (lesquelles auparavant selon son devoir, il devoit faire abbaisser) que renversant le navire plus que sur le costé, jusques à faire plonger les hunes et bouts des mats d’en haut, voire renverser en mer les cables, cages d’oiseaux, et toutes autres hardes qui n’estoyent pas bien amarées, lesquelles furent perdues, peu s’en fallut que nous ne fussions virez ce dessus dessous. Toutesfois apres qu’en grande diligence on eut coupé les cordages et les escoutes de la grand voile, le vaisseau se redressa peu à peu : mais, quoy que c’en soit, nous la peusmes bien conter pour une, et dire que nous l’avions belle eschappée. Cependant tant s’en fallut que les deux qui avoyent esté cause du mal fussent pour cela prests à se reconcilier, comme ils en furent priez à l’instant, qu’au contraire si tost que le peril fut passé, leur action de graces fut de s’empoigner et battre de telle sorte, que nous pensions qu’ils se deussent tuer l’un l’autre.

Davantage, rentrans en nouveau danger, comme quelques jours apres nous eusmes la mer calme, le charpentier et autres mariniers durant ceste tranquilité nous pensans soulager et relever de la peine où nous estions jour et nuict à tirer aux pompes : cherchans au fond du navire les trous par où l’eau entroit, il advint qu’ainsi qu’en charpentans à l’entour d’un qu’ils penserent racoustrer tout au fond du vaisseau pres la quille, il se leva une piece de bois d’environ un pied en quarré, par où l’eau entra si roide et si viste, que faisant quitter la place aux mariniers qui abandonnerent le charpentier, quand ils furent remontez vers nous sur le tillac, sans nous pouvoir autrement declarer le fait, crioyent, nous sommes perdus, nous sommes perdus.