Page:Jean de Léry - Voyage au Brésil - Gaffarel vol 2, 1880.djvu/172

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Surquoy les capitaine, maistre et pilote,voyans le peril evident, a fin de destrapper et mettre hors la barque en toute diligence, faisans jetter en mer les panneaux du navire qui la couvroyent, avec grande quantité de bois du Bresil et autres marchandises jusques à la valeur de plus de mille francs, deliberans de quitter le vaisseau, se vouloyent sauver dans icelle : mesme le pilote craignant que pour le grand nombre des personnes qui s’y fussent voulu jetter elle ne fust trop chargée, y estant entré avec un grand coutelas au poing dit, qu’il coupperoit les bras au premier qui feroit semblant d’y entrer. Tellement que nous voyans desjà, ce nous sembloit, delaissez à la merci de la mer, nous ressouvenans du premier naufrage d’où Dieu nous avoit delivrez, autant resolus à la mort qu’à la vie, et neantmoins pour soustenir et empescher le navire d’aller en fond, nous employans de toutes nos forces d’en tirer l’eau, nous fismes tant que elle ne nous surmonta pas. Non toutesfois, que tous fussent si courageux, car la plus part des mariniers s’attendans boire plus que leur saoul, tous esperdus apprehendoyent tellement la mort, qu’ils ne tenoyent conte de rien. Et de fait comme je m’asseure que si les Rabelistes, mocqueurs et contempteurs de Dieu, qui jasent et se mocquent ordinairement sur terre les pieds sous la table, des naufrages et perils où se trouvent si souvent ceux qui vont sur mer y eussent esté, leur gaudisserie fust changée en horribles espouvantemens : aussi ne doutay-je point que plusieurs de ceux qui liront ceci (et les autres dangers dont j’ai jà fait et feray encore mention, que nous experimentasmes en ce voyage) selon le proverbe ne disent : Ha ! qu’il fait bon planter des choux, et beaucoup meilleur ouyr deviser de la mer et des sauvages que