Page:Jean de Léry - Voyage au Brésil - Gaffarel vol 2, 1880.djvu/173

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d’y aller voir. O combien Diogenes estoit sage de priser ceux qui ayans deliberé de naviguer, ne navigoyent point pourtant. Cependant ce n’est pas encores fait, car lors que cela nous advint estans à plus de mille lieuës du port où nous pretendions, il nous en fallut bien endurer d’autres, mesme (comme vous entendrez ci-apres) il nous fallut passer par la griefve famine qui en emporta plusieurs : mais en attendant voici comme nous fusmes delivrez du danger present. Nostre charpentier qui estoit un petit jeune homme de bon coeur, n’ayant pas abandonné le fond du navire comme les autres, ains au contraire ayant mis son caban à la matelote sur le grand pertuis qui s’y estoit fait, se tenant à deux pieds dessus pour resister à l’eau (laquelle comme il nous dit puis apres de son impetuosité l’enleva plusieurs fois) criant en tel estat, tant qu’il pouvoit, à ceux qui estoyent en effroi sur le tillac, qu’on luy portast des habillemens, licts de cotton et autres choses propres, pour pendant qu’il racoustreroit la piece qui s’estoit enlevée, empescher tant qu’ils pourroyent l’eau d’entrer : estant di-je ainsi secouru nous fusmes preservez par son moyen.

Apres cela nous eusmes les vents tant inconstans, que nostre vaisseau poussé et derivant tantost à l’Est, et tantost à l’Ouest (qui n’estoit pas nostre chemin, car nous avions affaire au su) nostre Pilote, qui au reste n’entendant pas fort bien son mestier, ne sceut plus observer sa route, nous navigasmes ainsi en incertitude jusques sous le Tropique de Cancer.

Davantage nous fusmes en ces endroits-là, l’espace d’environ quinze jours entre des herbes, qui flotoyent sur mer si espesses et en telle quantité, que si pour faire voye au navire, qui avoit peine à les rompre, nous ne les eussions coupées avec des coignées, je croy que