Page:Jean de Léry - Voyage au Brésil - Gaffarel vol 2, 1880.djvu/174

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nous fussions demeurez tout court. Et parce que ces herbages rendoyent la mer aucunement trouble, nous estans advis que nous fussions dans des marescages fangeux, nous conjecturasmes que nous devions estre pres de quelques isles : mais encores qu’on jettast la sonde avec plus de cinquante brasses de corde, si ne trouva-on ny fond ny rive, moins descouvrismes nous aucune terre : sur quoy je reciteray ce que l’historien Indois a aussi escrit à ce propos. Christofle Colomb, dit-il, au premier voyage qu’il fit au descouvrement des Indes, qui fut l’an 1492. ayant prins refraischissement en une des Isles des Canaries, apres avoir singlé plusieurs journées, rencontra tant d’herbes qu’il sembloit que ce fust un pré : ce qui luy donna une peur, encores qu’il n’y eust aucun danger. Or pour faire la description de ces herbes marines desquelles j’ay fait mention : s’entretenans l’une l’autre par longs filamens, comme Hedera terrestris, flottans sur mer sans aucunes racines, ayant les fueilles assez semblables à celles de rue de jardins, la graine ronde et non plus grosse que celle de genevre, elles sont de couleur blafarde ou blanchastre comme foin fené : mais au reste, ainsi que nous apperceusmes, aucunement dangereuses à manier. Comme aussy j’ay veu plusieurs fois nager sur mer certaines immondicitez rouges, faites de la mesme façon que la creste d’un coq, si venimeuses et contagieuses, que si tost que nous les touchions, la main devenoit rouge et enflée.

Semblablement ayant n’agueres parlé de la sonde, de laquelle j’ay souvent ouy faire des contes qui semblent estre prins du livre des quenouilles : assavoir que ceux qui vont sur mer la jettant en fond, rapportent au bout d’icelle de la terre, par le moyen de laquelle ils cognoissent la contrée où ils sont : cela estant faux