Page:Jean de Léry - Voyage au Brésil - Gaffarel vol 2, 1880.djvu/19

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craignons d’enfondrer de nous-mesmes. Partant les autres, qui tous nageoyent voirement aussi aisément que poissons, estans advertis par leur compagnon de la cause de nostre venue si soudaine vers eux, en s’en moquans, se prindrent si fort à rire, que comme une troupe de marsouins nous les voyons et entendions souffler et ronfler sur l’eau. Et de fait, combien que nous fussions encor à plus d’un quart de lieuë de nostre fort, si n’y en eut-il que quatre ou cinq, plus encor pour causer avec nous, que de danger qu’ils apprehendassent, qui se voulussent mettre dans nostre batteau. J’observay que les autres quelques fois en nous devançans, non seulement nageoyent tant roide et si bellement qu’ils vouloyent, mais aussi quand bon leur sembloit se reposoyent sur l’eau. Et quant à leur barque d’escorce, quelques licts de cotton, vivres et autres objets qui estoyent dedans, qu’ils nous apportoyent, le tout estant submergé, ils ne s’en soucioyent certes non plus que vous feriez d’avoir perdu une pomme. Car, disoyent-ils, n’en y a-il pas d’autres au pays.

Au surplus, sur ce propos de la pescherie des sauvages, je ne veux pas omettre de reciter ce que j’ay ouy dire à l’un d’iceux : assavoir que comme avec d’autres, il estoit une fois en temps de calme, dans une de leur barque d’escorce assez avant en mer, il y eut un gros poisson, lequel la prenant par le bord avec la patte, à son advis, ou la vouloit renverser, ou se jetter dedans. Ce que voyant, disoit-il, je luy couppay soudainement la main avec une serpe, laquelle main estant tombée et demeurée dans nostre barque, non seulement nous vismes qu’elle avoit cinq doigts, comme celle d’un homme, mais aussi de la douleur que ce poisson sentit, monstrant, hors de l’eau une