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Page:Jean de Léry - Voyage au Brésil - Gaffarel vol 2, 1880.djvu/181

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en mer : et nous en souciasmes tant moins pour l’esgard de sa charge, qu’au lieu de nous defendre, si on nous eust lors assaillis, nous eussions plus tost desiré (tant estions-nous attenuez) d’estre prins et emmenez de quelque Pirate, pourveu qu’il nous eust donné à manger. Mais comme il pleut à Dieu de nous affliger tout le long de nostre voyage, à nostre retour nous ne vismes qu’un seul vaisseau, duquel encores, à cause de nostre foiblesse ne pouvans appareiller ni lever les voiles, quand nous le descouvrismes nous n’en peusmes approcher.

Or les rondelles dont j’ay fait mention, et tous les cuirs jusques aux couvercles des coffres à bahu, avec tout ce qui se peut trouver pour sustenter dans nostre navire, estans entierement faillis, nous pensions estre au bout de nostre voyage. Mais ceste necessité inventeresse des arts, mettant derechef en l’entendement de quelques uns de chasser les rats et les souris, lesquels (parce que nous leur avions osté les miettes et toutes autres choses qu’ils eussent peu ronger) couroyent en grand nombre mourans de faim parmi le vaisseau, ils furent si bien poursuyvis et avec tant de sortes de ratoires qu’un chacun inventoit, que comme chats les espians à yeux ouverts, mesme la nuict quand ils sortoyent à la lune, je croy, quelques bien cachez qu’ils fussent, qu’il y en demeura fort peu. Et de faict, quand quelqu’un avoit prins un rat, l’estimant beaucoup plus qu’il n’eust fait un boeuf sur terre, non seulement j’en ay veu qui ont esté vendus deux, trois, et jusques à quatre escus la piece : mais, qui plus est, nostre barbier en ayant une fois prins deux tout d’un coup, l’un d’entre nous luy fit cest offre, que s’il luy en vouloit bailler un, qu’au premier port où nous aborderions il l’habilleroit de pied en cap : ce que