Page:Jean de Léry - Voyage au Brésil - Gaffarel vol 2, 1880.djvu/182

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toutesfois (preferant sa vie à ces habits) il ne voulut accepter. Bref vous eussiez veu bouillir les souris dans de l’eau de mer, avec les trippes et les boyaux, desquelles ceux qui les pouvoyent avoir faisoyent plus de cas, que nous ne faisons ordinairement en terre de membres de moutons.

Mais entre autres choses remarquables, à fin de monstrer que rien ne se perdoit parmi nous : comme nostre contre-maistre eut un jour appresté un gros rat, pour le faire cuire, luy ayant coupé les quatre pattes blanches, lesquelles il jetta sur le tillac, je sçay un quidam, qui les ayant aussi soudain amassées, qu’en diligence fait griller sur les charbons, en les mangeant disoit n’avoir jamais tasté d’aisles de perdrix plus savoureuses. Et pour le dire en un mot, qu’est-ce aussi que nous n’eussions mangé, ou plustost devoré en telle extremité ? car de vray, pour nous rassasier, souhaitans les vieux os et autres telles ordures que les chiens traisnent par dessus les fumiers : ne doutez pas si nous eussions eu des herbes vertes, voire du foin, ou des fueilles d’arbres (comme on peut avoir sur terre) que tout ainsi que bestes brutes nous les eussions broutées. Ce n’est pas tout, car l’espace de trois semaines que ceste aspre famine dura, n’estant nouvelle entre nous ni de vin ni d’eau douce, laquelle dés long temps estoit faillie, nous estant seulement resté pour tout bruvage un petit tonneau de cistre : les maistres et capitaines le mesnageoyent si bien et tenoyent si de court, que quand un monarque, en ceste necessité, eust resté avec nous dans ce vaisseau, si n’en eust-il eu non plus que l’un des autres : assavoir un petit verre par jour. Tellement qu’estans autant et plus pressez de soif que de faim, non seulement quand il tomboit de la pluye estendans des linceuls avec une balle de fer