Page:Jean de Léry - Voyage au Brésil - Gaffarel vol 2, 1880.djvu/183

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au milieu pour la faire distiller, nous la recevions dans des vaisseaux de ceste façon, mais aussi retenans celle qui par petits ruisseaux degoutoit dessus le tillac, quoy qu’à cause du bray et des souilleures des pieds elle fust plus trouble que celle qui court par les rues, nous ne laissions pour cela d’en boire.

Conclusion, combien que la famine laquelle, en l’an 1573. nous endurasmes durant le siege de Sancerre, ainsi qu’on peut voir par l’histoire que j’en ay aussi fait imprimer, doive estre mise au rang des plus grieves dont on ait jamais ouy parler : tant y a toutesfois, comme j’ay là noté, que n’y ayant eu faute ni d’eau ni de vin, quoy qu’elle fust plus longue, si puis-je dire qu’elle ne fut si extreme que celle dont il est ici question : car pour le moins avions-nous à Sancerre, quelques racines, herbes sauvages, bourgeons de vignes et autres choses qui se peuvent encores trouver sur terre. Comme de fait tant qu’il plairoit à Dieu de laisser sa benediction aux creatures, je di mesmes à celles qui ne sont point en usage commun pour la nourriture des hommes : comme és peaux, parchemins et autres telles merceries dont j’ay fait catalogue, et que quoy nous vescusmes en ce siege : ayant di-je experimenté que cela vaut au besoin, tant que j’aurois des collets de buffles, habits de chamois, et telles choses où il y a suc et humidité, si j’estois enfermé dans une place pour une bonne cause, je ne me voudrois pas rendre pour crainte de la famine. Mais sur mer, au voyage dont je parle, ayans esté reduits à ceste extremité de n’avoir plus que du Bresil, bois sec et sans humidité sur tous autres, plusieurs neantmoins pressez jusques au bout, par faute d’autres choses en gringnotoyent entre leurs dents : tellement que le sieur Dupont nostre conducteur en tenant un jour une piece