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Page:Jean de Léry - Voyage au Brésil - Gaffarel vol 2, 1880.djvu/20

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teste qui avoit semblablement forme humaine, il jetta un petit cri. Sur lequel recit, assez estrange de cest Ameriquain, je laisse à philosopher au lecteur, si suyvant la commune opinion qu’il y a dans la mer de toutes les especes d’animaux qui se voyent sur terre, et nommément qu’aucuns ont escrit des Tritons et des Sereines : assavoir, si c’en estoit point un ou une, ou bien un Singe ou Marmot marin, auquel ce sauvage affermoit avoir coupé la main. Toutesfois, sans condamner ce qui pourroit estre de telles choses, je diray librement que tant durant neuf mois que j’ay esté en plaine mer, sans mettre pied à terre qu’une fois, qu’en toutes les navigations que j’ay souvent faites sur les rivages, je n’ay rien apperceu de cela : ny veu poisson (entre une infinité de toutes sortes que nous avons prins) qui approchast si fort de la semblance humaine.

Pour donc parachever ce que j’avois à dire touchant la pescherie de nos Toüoupinambaoults, outre ceste maniere de flescher les poissons, dont j’ay tantost fait mention, encor, à leur ancienne mode, accommodant des espines en façon d’hameçons, et faisans leurs lignes d’une herbe qu’ils nomment Toucon, laquelle se tille comme chanvre, et est beaucoup plus forte : ils peschent non seulement avec cela de dessus les bords et rivages des eaux, mais aussi s’advançans en mer et sur les fleuves d’eau douce, sur certains radeaux, qu’ils nomment piperis, composez de cinq ou six perches rondes plus grosses que le bras, jointes et bien liées ensemble avec des pars de jeune bois tors : estant di-je assis là-dessus, les cuisses et les jambes estendues, ils se conduisent où ils veulent, avec un petit baston plat qui leur sert d’aviron. Neantmoins ces piperies n’estans gueres que d’une brasse de long,