Page:Jean de Léry - Voyage au Brésil - Gaffarel vol 2, 1880.djvu/191

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il sembleroit que pour ce coup nous fussions à peu pres quittes de tous nos maux : mais tant y a que si celuy qui nous avoit tant de fois garantis des naufrages, tormentes, aspre famine, et autres inconveniens dont nous avions esté assaillis sur mer, n’eust conduit nos affaires à nostre arrivée sur terre, nous n’estions pas encores eschappez. Car comme j’ay touché en nostre embarquement pour le retour, Villegagnon, sans que nous en sceussions rien, ayant baillé au maistre du navire où nous repassasmes (qui l’ignoroit aussi) un proces lequel il avoit fait et formé contre nous, avec mandement expres au premier Juge auquel il seroit presenté en France, non seulement de nous retenir, mais aussi faire mourir et brusler comme heretiques qu’il disoit que nous estions : advint que le sieur du Pont, nostre conducteur, ayant eu conoissance à quelques gens de justice de ce pays-là, lesquels avoyent sentiment de la Religion dont nous faisions profession : le coffret couvert de toille cirée, dans lequel estoit ce proces, et force lettres adressantes à plusieurs personnages, leur estant baillé, apres qu’ils eurent veu ce qui leur estoit mandé, tant s’en fallut qu’ils nous traitassent de la façon que Villegagnon desiroit, qu’au contraire, outre qu’ils nous firent la meilleure chere qui leur fut possible, encor offrans leurs moyens à ceux de nostre compagnie qui en avoyent affaire, presterent-ils argent audit sieur du Pont et à quelques autres. Voila comme Dieu, qui surprend les rusez en leurs cautelles, non seulement par le moyen de ces bons personnages, nous delivra du danger où la revolte de Villegagnon nous avoit mis, mais qui plus est, la trahison qu’il nous avoit brassée estant ainsi descouverte à sa confusion, le tout retourna à nostre soulagement.