Page:Jean de Léry - Voyage au Brésil - Gaffarel vol 2, 1880.djvu/27

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qu’il laisse ? A ses enfans, s’il en a, et à defaut d’iceux à ses freres, seurs, ou plus prochains parens. Vrayement, dit lors mon vieillard (lequel comme vous jugerez n’estoit nullement lourdaut) à ceste heure cognois-je, que vous autres Mairs, c’est à dire François, estes de grands fols : car vous faut-il tant travailler à passer la mer, sur laquelle (comme vous nous dites estans arrivez par-deçà) vous endurez tant de maux, pour amasser des richesses ou à vos enfans ou à ceux qui survivent apres vous ? la terre qui vous a nourris n’estelle pas aussi suffisante pour les nourrir ? Nous avons (adjousta-il) des parens et des enfans, lesquels, comme tu vois, nous aimons et cherissons : mais parce que nous nous asseurons qu’apres nostre mort la terre qui nous a nourri les nourrira, sans nous en soucier plus avant nous nous reposons sur cela. Voilà sommairement et au vray le discours que j’ay ouy de la propre bouche d’un pauvre sauvage Ameriquain. Partant outre que ceste nation, que nous estimons tant barbare, se moque de bonne grace de ceux qui au danger de leur vie passent la mer pour aller querir du bois de Bresil à fin de s’enrichir, encor y a-il que quelque aveugle qu’elle soit, attribuant plus à nature et à la fertilité de la terre que nous ne faisons à la puissance et providence de Dieu, elle se levera en jugement contre les rapineurs, portans le titre de Chrestiens, desquels la terre de par-deçà est aussi remplie, que leur pays en est vuide, quant à ses naturels habitans. Parquoy suyvant ce que j’ay dit ailleurs, que les Toüoupinambaoults haïssent mortellement les avaricieux, pleust à Dieu qu’à fin que ils servissent desjà de demons et de furies pour tourmenter nos gouffres insatiables, qui n’ayans jamais assez ne font ici que succer le sang et la moelle des