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Page:Jean de Léry - Voyage au Brésil - Gaffarel vol 2, 1880.djvu/40

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point de graines, les femmes sauvages, songneuses au possible de les multiplier, pour ce faire ne font aucune chose sinon (oeuvre merveilleuse en l’agriculture) d’en couper par petites pieces, comme on fait icy les carotes pour faire salades, et semans cela par les champs, elles ont, au bout de quelque temps, autant de grosses racines d’Hetich qu’elles ont semé de petits morceaux. Toutesfois parce que c’est la plus grande manne de ceste terre du Bresil, et qu’allans par pays on ne voit presques autre chose, je croy qu’elles viennent aussi pour la pluspart sans main mettre.

Les sauvages ont semblablement une sorte de fruicts, qu’ils nomment Manobi, lesquelles croissans dans terre comme truffes, et par petits filemens s’entretenans l’un l’autre, n’ont pas le noyau plus gros que celuy de noisettes franches, et de mesme goust. Neantmoins ils sont de couleur grisastre, et n’en est pas la croise plus dure que la gousse d’un pois : mais de dire maintenant s’ils ont fueilles et graines, combien que j’aye beaucoup de fois mangé de ce fruict, je confesse ne l’avoir pas bien observé, et ne m’en souvient pas.

Il y a aussi quantité de certain poyvre long, duquel les marchans par deçà se servent seulement à la teinture : mais quant à nos sauvages, le pilant et broyant avec du sel, lequel (retenant expressément pour cela de l’eau de mer dans des fosses) ils sçavent bien faire, appellans ce meslange Jonquet, ils en usent comme nous faisons de sel sur table : non pas toutesfois ainsi que nous, soit en chair, poisson ou autres viandes, ils salent leurs morceaux avant que les mettre en la bouche : car eux prenans le morceau le premier et à part, pincent puis apres avec les deux doigts à chascune fois de ce Jonquet, et l’avalent pour donner saveur à leur viande.