Page:Jean de Léry - Voyage au Brésil - Gaffarel vol 2, 1880.djvu/50

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departir de chacun lieu où ils s’arrestent et sejournent : à fin d’advertir et tenir les autres en cervelle, il y en a tousjours quelques-uns, qui avec des cornets, qu’ils nomment Inubia, de la grosseur et longueur d’une demie pique, mais par le bout d’embas large d’environ demi pied comme un haubois, sonnent au milieu des troupes. Mesmes aucuns ont des fifres et fleutes faites des os des bras et des cuisses de ceux qui auparavant ont esté par eux tuez et mangez, desquelles semblablement (pour s’inciter tant plus d’en faire autant à ceux contre lesquels ils s’acheminent) ils ne cessent de flageoler par les chemins. Que s’ils se mettent par eau (ce qu’ils font souvent) costoyans tousjours la terre, et ne se jettans gueres avant en mer, ils se rengent dans leurs barques qu’ils appellent Ygat, lesquelles faites chascune d’une seule escorce d’arbre, qu’ils pellent expressément du haut en bas pour cest effect, sont neantmoins si grandes, que quarante ou cinquante personnes peuvent tenir dans une d’icelles. Ainsi vogans tout debout à leur mode, avec un aviron plat par les deux bouts, lequel ils tiennent par le milieu, ces barques (plates qu’elles sont) n’enfonçans pas dans l’eau plus avant que feroit un ais, sont fort aisées à conduire et à manier. Vray est qu’elles ne sçauroyent endurer la mer un peu haute et esmeuë, moins la tormente : mais quand en temps de calme, nos sauvages vont en guerre, vous en verrez quelquesfois plus de soixante toutes d’une flotte, lesquelles se suyvans pres à pres vont si viste qu’on les a incontinent perdues de veuë. Voilà donc les armees terrestres et navales de nos Toüpinambaoults aux champs et en mer.

Or allans ainsi ordinairement vingt-cinq ou trente lieuës loing chercher leurs ennemis, quand ils approchent