Aller au contenu

Page:Jean de Léry - Voyage au Brésil - Gaffarel vol 2, 1880.djvu/52

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des autres, les deux armées venans à se rencontrer, on ne pourroit croire combien le combat est cruel et terrible : dequoy ayant moy-mesme esté spectateur, je puis parler à la verité. Car comme un autre François et moy, en danger si nous eussions esté prins ou tuez sur le champ, d’estre mangez des Margajas, fusmes une fois, par curiosité, accompagner nos sauvages lors en nombre d’environ quatre mille hommes, en une escarmouche qui se fit sur le rivage de la mer, nous vismes ces barbares combatre de telle furie, que gens forcenez et hors du sens ne sçauroyent pis faire.

Premierement quand nos Toüoupinambaoults d’environ demi quart de lieue, eurent apperceu leurs ennemis, ils se prindrent à hurler de telle façon, que non seulement ceux qui vont à la chasse aux loups par-deçà, en comparaison, ne menent point tant de bruict, mais aussi pour certain, l’air fendant de leurs cris et de leurs voix, quand il eust tonné du ciel, nous ne l’eussions pas entendu. Et au surplus, à mesure qu’ils approchoyent, redoublans leurs cris, sonnans de leurs cornets, et en estendans les bras se menaçans et monstrans les uns aux autres les os des prisonniers qui avoyent esté mangez, voire les dents enfilées, dont aucuns avoyent plus de deux brasses pendues à leur col, c’estoit une horreur de voir leurs contenances. Mais au joindre ce fut bien encor le pis : car si tost qu’ils furent à deux ou trois cens pas près l’un de l’autre, se saluans à grands coups de flesches, dés le commencement de ceste escarmouche, vous en eussiez veu une infinité voler en l’air aussi drues que mousches. Que si quelques-uns en estoyent attaints, comme furent plusieurs, apres qu’avec un merveilleux courage il les avoyent arrachées de leurs corps, les rompans,