Page:Jean de Léry - Voyage au Brésil - Gaffarel vol 2, 1880.djvu/53

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comme chiens enragez mordans les pieces à belles dents, ils ne laissoyent pas pour cela de retourner tous navrez au combat. Sur quoy faut noter que ces Ameriquains sont si acharnez en leurs guerres que tant qu’ils peuvent remuer bras et jambes, sans reculer ni tourner le dos, ils combattent incessamment. Finalement quand ils furent meslez, ce fut avec leurs espées et massues de bois, à grands coups et à deux mains, à se charger de telle façon que qui rencontroit sur la teste de son ennemi, il ne l’envoyoit pas seulement par terre, mais l’assommoit, comme font les bouchers les bœufs par-deçà.

Je ne touche point s’ils estoyent bien ou mal montez, car presupposant par ce que j’ay dit ci-dessus que chacun se ressouviendra qu’ils n’ont chevaux ni autres montures en leurs pays, tous estoyent et vont tousjours à beau pied sans lance. Partant combien que pour mon esgard, pendant que j’ay esté par-delà, j’aye souvent desiré que nos sauvages vissent des chevaux, encor lors plus qu’auparavant souhaitoy-je d’en avoir un bon entre les jambes. Et de faict, je croy que s’ils voyoyent un de nos gendarmes bien monté et armé avec la pistole au poing, faisant bondir et passader son cheval, qu’en voyant sortir le feu d’un costé, et la furie de l’homme et du cheval de l’autre, ils penseroyent de prime face que ce fust Aygnan, c’est à dire le diable en leur langage. Toutesfois à ce propos quelqu’un a escrit une chose notable : c’est que combien qu’Attabalipa, ce grand Roy du Peru, qui de nostre temps fut subjugué par François Pizarre, n’eust jamais veu de chevaux auparavant, tant y a quoy que le capitaine Espagnol qui premier l’alla trouver, fist par gentillesse et pour donner esbahissement aux Indiens, tousjours voltiger le sien jusques à ce qu’il fust près