Page:Jean de Léry - Voyage au Brésil - Gaffarel vol 2, 1880.djvu/66

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ces barbares, plus qu’en toutes autres choses, d’exterminer ainsi, tant qu’il leur est possible, la race de ceux contre lesquels ils ont guerre (car les Margajas font le mesme traitement aux Toüoupinambaoults quand ils les tiennent), mais aussi ils prennent un singulier plaisir de voir que les estrangers, qui leur sont alliez, facent le semblable. Tellement que quand ils nous presentoyent de ceste chair humaine de leurs prisonniers pour manger, si nous en faisions refus (comme moy et beaucoup d’autres des nostres ne nous estans point, Dieu merci, oubliez jusques-là, avons tousjours fait), il leur sembloit par cela que nous ne leur fussions pas assez loyaux. Sur quoy, à mon grand regret, je suis contraint de reciter icy, que quelques Truchemens de Normandie, qui avoyent demeuré huict ou neuf ans en ce pays-là, pour s’accommoder à eux, menans une vie d’atheistes, ne se polluoyent pas seulement en toutes sortes de paillardises et vilenies parmi les femmes et les filles, dont un entre autres de mon temps avoit un garçon aagé d’environ trois ans, mais aussi, surpassans les sauvages en inhumanité, j’en ay ouy qui se vantoyent d’avoir tué et mangé des prisonniers.

Ainsi, continuant à descrire la cruauté de nos Toüoupinambaoults envers leurs ennemis : advint pendant que nous estions par delà, que eux s’estans advisez qu’il y avoit un village en la grande Isle, dont j’ay parlé cy devant, lequel estoit habité de certains Margajas leurs ennemis, qui neantmoins s’estoyent rendus à eux, dés que leur guerre commença : assavoir il y avoit dés lors environ vingt ans : combien di-je que depuis ce temps-là ils les eussent tousjours laissez vivre en paix parmi eux : tant y a neantmoins qu’un jour en beuvant et caouinant, s’accourageans l’un l’autre, et allegans,